jeudi 11 septembre 2008

Je me marierai avec Anna ou Mère contre fille par Blandine Longre

...ou ne pas se soumettre aux désirs qui ne sont les nôtres ! semaphore

Mère contre fille par B. Longre


source : http://www.sitartmag.com/thierrylenain.htm

L'enfance, terrain de prédilection de Thierry Lenain, n'est pas seulement un thème en soi et reste aussi un tremplin pour mieux comprendre ou explorer certains tabous ou non-dits ; ainsi, ses albums ou ses récits sont destinés d'abord aux enfants mais aussi aux adultes qui les entourent. Après un ouvrage peu banal publié par les éditions Sarbacane (H.B., 2003) et dans la collection Première lune, Bouboule rêve (Nathan, 2003), une histoire qui osait aborder un sujet délicat (l'obésité d'un enfant), l'auteur met en scène un mini drame familial, un tournoi verbal et affectif qui se déroule entre Cora, une petite fille entêtée, rêveuse et pragmatique tout à la fois, et ses parents, un peu déstabilisés par les projets maritaux hors normes de leur fille...

La mère de Cora ne cesse de la taquiner, sans délicatesse, au sujet de celui qu'elle croit être l'amoureux de sa fille : Bastien, un petit binoclard, "un nul, c'est un garçon" décrète Cora ; "mignon, bien élevé et tout le reste, en un mot : parfait." de l'avis de la maman — dont l'attitude, certes gentiment moqueuse, révèle cependant une volonté oppressante de soumettre sa petite fille à ses propres désirs de mère. Une tentative qui échoue quand Cora affirme son désir à elle et rejette le "moule" proposé par sa maman ; à la question "Quand tu seras grande, avec qui te marieras-tu ?" Cora réplique : "Je me marierai avec Anna". Après un moment de stupéfaction, la mère de Cora répond par le rire ("mais Anna est une fille !"), puis passe de l'exaspération à la colère, mêlant alors le papa à cette discussion tendue. Ce dernier entreprend de raisonner sans se fâcher et, terre à terre, explique à sa fille qu'elle ne pourra pas avoir de bébé si elle choisit de vivre avec une autre fille... Mais Cora, qui veut avoir le dernier mot, explique de façon encore plus pragmatique : "Je ferai un bébé toute seule. Anna aussi. On habitera la même maison et..." La réaction violente, primaire mais sincère de ses parents la surprend et elle est priée de "filer" dans sa chambre... Les illustrations d'Aurélie Guillerey, aux tons pastels, très douces, s'accordent bien au texte et les divers sentiments qui traversent les personnages s'affichent subtilement sur les visages.

Ce récit, ponctué des commentaires de la jeune narratrice marqués au coin du bon sens, n'est pas une apologie de l'homosexualité (même si la décision de la petite semble inébranlable, on sait qu'elle a le temps de changer d'idée... ou non ! et l'auteur ni ne condamne ni ne fait l'éloge de ce choix), mais la "morale" va bien au-delà de la simple révélation que fait Cora à ses parents : Thierry Lenain nous plonge dans les complexités du désir humain et les tensions qui régissent les relations entre parents et enfants. La figure maternelle esquissée ici est assez dérangeante ; mais les préjugés du personnage sont contrebalancés par la forte volonté d'une petite fille qui n'a pas l'intention de se soumettre à des désirs qui ne sont pas les siens.

À travers cette petite histoire, l'auteur montre comment les parents cherchent (inconsciemment ou non) à parfois imposer leurs propres rêves à leurs enfants, souhaitant naturellement les modeler à leur image ; mais il décrit aussi comment les enfants échappent à leurs géniteurs, en construisant d'autres projets, parfois bien éloignés de ce que leurs parents ont prévu à leur place...
Chacun des personnages reste sur sa position initiale et le récit n'apporte aucune solution toute faite, une façon de laisser le choix au lecteur tout en l'obligeant à réfléchir et à s'impliquer ; mais au moins, un grand pas a été fait : les choses ont été formulées par les deux parties adverses, le conflit est passé par le crible salvateur du langage et inscrit dans un ouvrage destiné à être lu, approfondi, et partagé.

Blandine Longre (avril 2004)

Je me marierai avec Anna de Thierry Lenain & Mireille Vautier

illustrations Aurélie Guillerey, collection Première Lune, Nathan 2004

pour les 5-7 ans

[Ajout : autre critique par Lionel Labosse sur altersexualité.com/HomoEdu]

Un album pionnier

lundi 30 avril 2007, par Lionel Labosse

Un des premiers albums à évoquer la perspective, pour une petite fille, de faire autre chose de sa vie que de se marier avec un garçon.

Voir en ligne : Site de Thierry Lenain

Résumé

La mère de Cora veut toujours savoir si elle a un amoureux. Elle veut lui flanquer le fameux Bastien, pour la simple raison qu’elle est amie avec sa mère. « Un jour, pour qu’elle arrête de m’énerver, je lui ai dit la vérité. […] — Quand je serai grande, je me marierai avec Anna. »

Lire la suite ici http://homoedu.free.fr/spip.php?article176

3 commentaires:

Anonyme a dit…

je trouve le thème hyper sympa, en + c'est 2 filles, alors ça change de représentations souvent masculines. La phrase "À travers cette petite histoire, l'auteur montre comment les parents cherchent (inconsciemment ou non) à parfois imposer leurs propres rêves à leurs enfants, souhaitant naturellement les modeler à leur image" : je trouve que surtout, on a envie que notre enfant soit inséré, et on sait bien que la société rejette l'homosexualité, que ce ne sera pas facile à vivre. Je pense que les parents veulent que leur enfant soit heureux en général et c'est + difficile quand on est pas dans la grosse norme sociale. C'est bien pour ça que les mentalités doivent évoluer...

sémaphore a dit…

Certes, faire évoluer les mentalités, déverrouiller les préjugés.

Les parents qui rejettent leur progéniture parce qu'homosexuelle ne sont pas dans le désir du bonheur de leurs enfants... ils sont surtout dans la peur du qu'en dira-t-on, dans la stigmatisation de l'a/normalité!

Le mépris d'une autre orientation sexuelle se confirme quand les relations homosexuelles sont qualifiées de purement sexuelles et narcissique, dont serait banni tout échange amoureux, des rapports sexuels qui seraient vécu sans sentiment, regard abject sur nos relations visant à les dégrader, à rendre sale ce qui représente le plus précieux pour un être,pour tout être, non?
Enfin, il est vrai.. chacun ses priorités,... nous intimant de revenir à la norme, parce que l'on peut être ami avec un homme...et bien justement l'amitié et l'amour ce n'est pas pareil!

Parler des rapport mère contre fille dans ce cas précis comment puis-je prendre une distance avec ce sujet sans faire référence à ma propre expérience, sans évoquer ma propre mère, mes propres ressentiments, même de manière déguisée...
J'y reviendrai peut-être...

Anonyme a dit…

je crois que bcp de parents ne cherchent pas le bonheur de leur enfant parce qu'ils n'ont pas saisi que leur enfant ne leur appartient pas. Ils veulent juste un bras de + avec un enfant, eux c'est le cerveau qui commande tout, cet enfant n'a même pas le droit de penser par lui-même. et puis ils voient la sexualité comme un truc de reproduction, alors là bien sûr ça ne risque pas de fonctionner. ça aussi évolue heureusement. Je crois que le lien affectif les gens souvent s'en fichent (les parents) ils veulent l'obéissance, voir que leur fille obéit à un mari, fait de 'beaux enfants' comme on dit, ça les comble d'aise. J'avoue que je me sens étrangère à tout ça, mais je l'ai vu et compris.