mardi 19 février 2008

Violences conjugales en France et en Espagne par Romy Duhem-Verdière

Violences conjugales en France et en Espagne

Quelques repères : chiffres, dates, lois

2 août 2004,
par Romy Duhem-Verdière

source : http://romy.tetue.net/spip.php?article104

À propos du film espagnol "Ne dis rien" qui traite de la violence conjugale, j’entends les unes et les autres s’apitoyer sur le sort de ces « pauvres femmes espagnoles », parce qu’en Espagne, ce serait « vraiment grave ». Ça m’agace toujours un peu cette façon de s’alarmer des horreurs qui se passent ailleurs en oubliant que ce n’est pas mieux ici. Les chiffres sont les mêmes pour les femmes françaises comme espagnoles : on meurt autant de part et d’autre des Pyrénées.

La seule différence, et elle n’est pas négligeable, c’est que l’Espagne est en pleine prise de conscience et commence seulement à lutter contre ce fléau, tandis qu’en France, les féministes luttent depuis plusieurs décennies déjà... ce que l’on ne cesse d’oublier.

État des lieux.
Espagne : comment en finir avec la violence conjugale ?

En 1997, 75 femmes sont mortes suite à une agression de leur mari.
La révision du code pénal espagnol en 1999 est capitale. Elle prévoit que la femme ne doive plus « entière obéissance à son mari ». La notion de « violence psychique » est reconnue. La récidive transforme la faute en délit. Enfin ! Mais cela ne suffit pas.
En 2000, 66 femmes meurent à nouveau sous les coups de leur conjoint. Dans l’enquête publiée en mars 2001, 640 000 femmes s’avouent victimes de mauvais traitements, et près de 2 millions d’entre elles le sont (soit plus d’une femme sur dix).

Le pacte du silence autour de la vie privée n’en finit pas de se briser : les plaintes augmentent d’au moins 10 % chaque année, jusqu’à atteindre (en 2001) plus de 20 000 par an. Cependant seules 5 % à 7 % des femmes violentées attentent une action en justice. Elles craignent les représailles, et savent que cela ne servira pas à grand chose : les décisions de justice sont souvent incohérentes [1] et 80 % des cas jugés pour violences bénéficient de l’impunité.

Depuis janvier 2004, plus d’une quinzaine de femmes ont succombé aux mauvais traitements de leur conjoint. Le gouvernement Zapatero a fait de l’éradication de ce fléau sa priorité absolue.

D’abord changer les mentalités : 21 % des hommes (et près de 9 % des femmes) interrogés estiment que les victimes de violences domestiques « aiment être maltraitées, ou bien sont idiotes, ou bien obtiennent quelque chose en échange », sinon elles quitteraient le domicile conjugal ou se sépareraient de leur conjoint [2]. De même 10,7 % des hommes pensent que, si une femme est maltraitée, c’est qu’elle l’a mérité [3]...

Le machisme reste très ancré dans la société espagnole et continue d’être transmis d’une génération à l’autre. Les femmes de 25-45 ans ont récupéré leur dignité, assument leur statut d’égale de l’homme et/ou luttent pour cela. En revanche, 50 % des hommes de la même tranche d’âge continuent d’avoir des attitudes machistes, et c’est dans leurs foyers que se produit le plus grand nombre d’homicides et de séparations.

La domination masculine est encore très forte en Espagne : rappelons que ce n’est que depuis 1999 que la femme est légalement libérée de l’obéissance à son mari ! [4]
Et en France ? c’est à peine mieux


Les chiffres sont à peu prés les mêmes en France : en 1999, 72 femmes ont été tuées volontairement par leur mari, sans compter celles qui sont décédées des suites de blessures. Au moins un foyer sur dix est le lieu de violences graves dont les victimes sont à 95 % des femmes et des enfants [5]. Parmi les femmes de 20 à 59 ans vivant en couple, une sur dix a déjà été victime de violences. Chaque année, 4 millions de femmes sont agressées par leur partenaire.

Pour dénoncer la violence qui s’exerce au sein du couple et de la famille, une coordination d’associations issues du mouvement des femmes a vu le jour dès la fin des années 70 pour devenir, en 1987, l’actuelle Fédération Nationale Solidarités Femmes [6]. Passant du constat alarmant, à la dénonciation et la critique, les féministes ont obligé à faire changer les lois [7].
Les violences conjugales ne sont reconnues comme telles et punies par la loi française que depuis 1994. Grâce aux féministes, la « qualité de conjoint ou concubin » est reconnue comme circonstance aggravante. Un homme qui bat sa femme est désormais passible d’une peine prononcée par le tribunal correctionnel. L’acte de violence sur une femme enceinte est jugé comme un facteur aggravant.
17 000 plaintes ont été déposées en 2000. Elles sont en constante augmentation. Mais le code pénal n’est pas toujours bien appliqué [8] ; très peu de condamnations interviennent et beaucoup trop de dossiers finissent en médiation [9]...

Actuellement en France, au moins 6 femmes meurent chaque mois sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. C’est d’ailleurs la première cause de mortalité des femmes de 16 à 44 ans.
Le ministre de la Justice Dominique Perben a souhaité, à l’occasion de la 22e journée internationale des femmes, que l’année 2004 soit consacrée en priorité aux victimes de violences conjugales et familiales.

Violences : leurs statistiques augmentent partout

L’augmentation des statistiques ne trahit pas nécessairement une augmentation des violences, mais de leur révélation. Cela veut simplement dire que de plus en plus de femmes osent en parler [10], ce qui est plutôt une bonne chose. D’autre part les enquêtes spécifiques sur les violences faites aux femmes sont relativement récentes [11]. Ce n’est que progressivement que les paroles se libèrent, et les statistiques commencent peu à peu à refléter la réalité. Nous en sommes encore à la prise de conscience.

Cette situation au sein des familles Espagnoles, Françaises, mais aussi Européennes [12], est tristement représentative d’un phénomène universel : un récent rapport de l’ONU assure qu’une femme sur trois dans le monde est victime de mauvais traitements ou d’abus de la part d’un proche. Selon l’Unifem, que ce soit dans les pays riches ou pauvres, les femmes vivent le même type de violence. Tandis qu’au Cambodge, 16 % des femmes disent être physiquement maltraitées par leurs maris, au Royaume-Uni, on en compte presque deux fois autant. À Sao Paulo, au Brésil, 13 % de femmes en âge de reproduire sont tuées et parmi elles, 60 % le sont par leurs maris ou concubins. Aux États-Unis, 7 millions de femmes sont violées ou sexuellement agressées chaque année, etc...
Bref, dans le monde, 70 % des femmes assassinées, le sont par leur partenaire masculin (OMS).

La violence contre les femmes à travers le monde est telle, qu’Amnesty International parle de scandale planétaire et tire la sonnette d’alarme en lançant une campagne exceptionnelle de deux ans : « Halte à la violence contre les femmes ».

Ce document a été rédigé à l’occasion d’une soirée cinéma entre féministes (réseau "Encore féministes !") pour voir : Ne dis rien (Te doy mis ojos) de l’espagnole Iciar Bollain. Ce film traite avec beaucoup de subtilité de la violence conjugale masculine. Vu ce lundi 2 août.

Les chiffres statistiques cités sont issus de différents articles de presse parus entre 2000 & 2004, qui se réfèrent notamment à l’enquête ENVEFF, et aux constats des associations "de terrain" (dont FNSF).

[1] La sentence du divorce d’Ana Orantes, par exemple, prévoyait qu’elle continue de partager le domicile conjugal, chacun à un étage, bien qu’elle ait dénoncé la violence de son mari. Quelque temps après, son mari la brûlait vive.

[2] Dans 70 % des cas, les femmes attendent au moins 5 ans avant d’oser en parler...

[3] Idée relayée par la blague populaire : « Il faut battre ta femme : si tu ne sais pas pourquoi tu la bats, elle, elle le sait. » ! ! !

[4] En France, le code Napoléon, qui imposait le devoir d’obéissance de la femme envers le mari, a été aboli en 1938.

[5] C’est aussi la 9ème bonne raison du manifeste "Encore féministes ! (co-signée par le journaliste Cavanna).

[6] Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) 32-34 rue des Envierges 75020 Paris - Tel : 01 40 33 80 90 - http://www.solidaritefemmes.asso.fr

[7] Jusqu’en 1975, le code pénal excusait le meurtre commis par un conjoint sur son épouse surprise en flagrant délit d’adultère au domicile conjugal.

[8] Le traitement des plaintes dépend du procureur : à Chambéry, par exemple, il n’y a aucune tolérance face à ces violences, mais à Bobigny, 65 % des dossiers finissent en médiation...

[9] Ce qui est absurde car cela met sur le même plan le coupable et la victime, comme s’il s’agissait de régler un simple malentendu. La femme se sent bafouée et la violence de l’homme redouble.

[10] "Bien trop de femmes dans bien trop de pays parlent la même langue : le silence." Anasua Sengupta, historienne indienne (extrait de Silence).

[11] L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), réalisée en 1999, est la première (et la seule !) réalisée en France. Consulter le dossier de presse.

[12] En Europe, la violence domestique sur les femmes âgées de 16 à 44 ans est la principale cause de mort et d’invalidité, avant le cancer ou les accidents de la route.

Aucun commentaire: