samedi 9 février 2008

Turquie: le Parlement légalise le port du voile à l'université, le pays reste divisé


Nur Serter,femme politique turque, parlementaire CHP : "Le voile divise le pays (...) il (le foulard) réduit les femmes en citoyens de deuxième classe"

Turquie: le Parlement légalise le port du voile à l'université, le pays reste divisé



ANKARA (AFP) — Le Parlement turc a adopté dans la nuit de mercredi à jeudi un amendement constitutionnel autorisant le port du voile dans les universités, une mesure qui divise la Turquie musulmane mais strictement laïque.

Le nouveau président de la Cour de cassation turque a appelé jeudi le Parlement à ne pas éroder le régime laïc en place en Turquie.

"Bien sûr, faire des amendements légaux et constitutionnels est une des fonctions primaires et naturelles du Parlement, mais cette autorité ne doit pas être utilisée pour affaiblir la laïcité", a déclaré à la presse Hasan Gerçeker, nouvellement élu à la tête de la Cour, lors de sa cérémonie d'investiture.

Au terme d'une série de vote sur des amendements proposés, ceux-ci ont largement obtenu la majorité des deux-tiers des voix requise pour une modification de la Constitution.

L'article clé du projet déclare notamment que "personne ne peut être privé de son droit à l'éducation supérieure", allusion aux jeunes femmes voilées.

Un deuxième tour de vote est prévu samedi pour finaliser l'ensemble de la révision proposée par le parti issu du mouvement islamiste au pouvoir AKP et un parti d'opposition nationaliste MHP.

Le projet a soulevé une levée de boucliers des milieux laïcs et de l'opposition social-démocrate qui affirment qu'il érode les principes laïcs de la Turquie et qu'il risque d'entraîner l'accès des femmes voilées à la fonction publique et aux écoles, strictement interdite actuellement.


Le gouvernement du Parti de la Justice et du développement (AKP) assure défendre la liberté individuelle des étudiantes musulmanes et estime que cette réforme s'inscrit dans le processus d'adhésion à l'Union européenne. La révision devrait mettre fin à une jurisprudence obligeant les étudiantes à se dévoiler.

Le camp pro-laïc - l'armée, la magistrature et l'administration universitaire - perçoit le foulard comme le symbole de l'islam politique, dans ce pays au régime laïque mais dont la population est musulmane à 99%.

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, un ancien islamiste, a voulu dissiper les craintes, assurant que le projet ne visait qu'à permettre "aux filles de ne plus attendre devant les portes des universités".

Les orateurs de sa formation ont soutenu lors des discussions que le projet allait dans la voie du caractère séculier du régime en atténuant les discriminations dont font l'objet, selon eux, les étudiantes portant le hijab.

Les épouses et les filles de la plupart des dirigeants de l'AKP sont voilées. L'amendement doit encore être approuvé par le chef de l'Etat, Abdullah Gül, un ancien poids lourd de l'AKP, dont la femme se couvre également la tête, et qui avait milité en faveur de l'abolition de cette interdiction.

Le parti d'opposition CHP (Parti républicain du peuple), pour qui "le projet défie la République laïque", a annoncé qu'il saisira la Cour constitutionnelle pour le stopper, après sa ratification par M. Gül.

"L'objectif, c'est d'éroder la laïcité", a lancé devant les députés Kemal Anadol, vice-président du groupe parlementaire du CHP.

Pour les laïcs, l'acceptation du foulard sur le campus risque d'accentuer la pression des religieux sur les femmes. Ils redoutent ainsi que "la pression du quartier" ne pousse les étudiantes non voilées à se couvrir.

Nur Serter, parlementaire CHP, a accusé l'AKP de vouloir "exploiter" les sentiments religieux pour des visées électorales, notamment lors des élections municipales prévues en 2009 et de faire de la Turquie "un Etat islamique".

"Le voile divise le pays (...) il (le foulard) réduit les femmes en citoyens de deuxième classe", a-t-elle encore dit.

Samedi, une vaste manifestation s'était tenue à Ankara contre la révision.

Les recteurs d'universités se sont aussi élevés contre le projet. Celui-ci ne satisfait pas davantage les milieux religieux car les critères sur le type de foulard autorisé (le fichu traditionnel noué sous le menton, et non le foulard enveloppant la tête et couvrant le cou, le "turban"), impliquent l'exclusion des femmes qui ne porteront pas celui préconisé.

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